Saturday, October 8, 2011

POUR UN ANNIVERSAIRE
Il n’est guère aisé de parler de l’Amérique;il n’est guère aisé de parler de n’importe quoi, n’importe comment.Mais si parler de l’Amérique, des États-Unis d’Amérique est difficile, ce n’est pas tant en raison de ce que l’on appellerait,dans la hâte et en cédant aux stéréotypes les plus variés, son immensité, c’est plutôt parce que, d’une certaine manière,une certaine Amérique,une certaine idée de l’Amérique, l’Amérique ,telle que la rêvèrent Jefferson et Franklin par exemple, et peut-être même Hamilton aussi,malgré tout ce qui peut séparer ce dernier de Jefferson et de Franklin, n’existe pas encore.Elle est encore à venir.
Si c’est là , en un sens , sa chance, sa très grande chance, c’est ,en même temps, son calvaire infini, car il semble que malgrétout ce qui peut l’en distinguer,l’Amérique demeure toujours hantée par la vieille Europe dont on ne sait pas très bien si , comme nous l’avons déclaré lors d’une communication donnée aux États-Unis même, elle en est la négation ou la perversion, quand elle n’en serait la pointe la plus avancée, la réalisation et comme l’accomplissement,voire l’achèvement,en quelque sens que l’on voudra.C’est d’autant plus inquiétant que ce fantôme de la vieille Europe qui constamment rôde et plane sur l’Amérique entière, sur le monde même,n’est surtout pas un nouvel Hamlet qui viendrait secouer de leur torpeur des dormeurs ivres que la proximité de violents et meurtriers incendies a l’air de jeter encore plus amoureusement dans les bras de Morphée. Et de la porter,la vieille Europe, collée à la peau,telle une tunique de Nessus,l’Amérique s’interdit de venir au monde .
Une certaine Amérique, disions-nous, est encore à venir, celle qui, parce qu’elle est capable du pire, sera capable dumeilleur.Mais pour qu’elle advienne ,cette Amérique-là, un travail d’anamnèse est absolument indispensable.De ne pouvoir ou/et de ne vouloir faire le deuil de son passé, d’un certain passé surtout,l’Amérique se condamne à le répéter et on ne peut que le regretter.Pour les Américains eux-mêmes ,mais non moins pour le reste du monde, si tant est qu’on puisse encore parler de reste du monde,vu que l’Amérique est littéralement omniprésente. Car , pour paradoxal que cela puisse paraître, nous dirons quel’Amérique,une certaine Amérique qui n’existe pas encore tout à fait,mais qui n’a peut-être ,elle aussi, alors que guettait le spectre européen, jamais oublié ce rêve qui fut le sien , d’être le relais de Lumières ( lesquelles se spécifient d’être , non la vieille mais , la nouvelle Europe ), qui peut, quoiqu’il n’y ait pas qu’elle, qui pourrait protéger le monde contre les divers hégémonismes et impérialismes qui le menacent.Il s’agit tout d’abord de l’hégémonisme et de l’impérialisme américains eux-mêmes,qui sont si contraires à l’esprit de la Constitution des États-Unis et que pourtant prônent certains au nom des intérêts de l’Amérique.Mais qui sont-ils, ces Américains-là ? Et de quelle Amérique parlent-ils ? On peut craindre que les nostalgiques du Manifest Destiny, du Home on the Hill ,et même de l’American dream , qui n’ont jamais lu et probablement jamais ne liront Edward Albee, ni Dreiser,ni Dos Passos, encore moins Faulkner, sinon ils ne seraient pas ce qu’ils sont,ne comprennent que ce qui est en train de se passer, avec l’éloignement de l’idéal de Franklin et avec l’incapacité réelle ou voulue où se trouve l’Amérique à entreprendre le travail du deuil de son passé , dont le corrélat est le primat de la phantasmagorie-------------il suffit de passer quelques heures aux États-Unis pour constater, même si on arrive de Séoul ou de Sao Paulo,que tout y baigne dans une atmosphère d’irréalité,que même le réel y semble irréel-------------, c’est non seulement la destruction de cette idée de l’Amérique en tant que porteuse des idéaux de démocratie , de liberté et de progrès ,en digne héritière des Lumières,mais l’effacement progressif de l’Amérique elle-même, quelle qu’elle soit,cependant que se généralise et se consacre le règne de l’uniformité et de l’anonymat afin que se manifeste la toute-puissance de l’Argent-Roi.
Contre cela ,il importe de réagir,car c’est le sort du monde qui est en jeu ,en péril ,et cette Amérique, pas n’importe laquelle, que Jacques Derrida en vint presque à identifier avec la déconstruction, avec , disons pour faire vite,ce mouvement qui interrompt toute possibilité de prolifération idéologique,est stratégiquement particulièrement bien placée , ne serait-ce que par ce qu’elle en a les moyens, pour engager la lutte contre ce qui peut faire obstacle à la naissance d’une autre Amérique, de celle dont Jefferson et Franklin eurent la vision et qui ,à l’heure qu’il est n’est même pas un phantasme.Mais pour cela, il faudra d’abord ce travail du deuil, difficile et interminable;il faudra bien que l’Amérique se réconcilie , toute dénégation et toute sublimation exclues, avec son passé, et compte tenu de ce passé qui embrasse tout l’univers, ce sont non seulement les États-Unis d’Amérique qui en seront grandis et enrichis, mais c’est tout l’univers qui s’en trouvera soulagé et apaisé.D’où au moment où les USA célèbrent leur anniversaire, la nécessité de rappeler la tâche qui, pour diverses raisons, leur revient à eux d’abord sans doute, mais qui ne revient pas moins aux autres ,à tous, pour qu’à défaut de jouir de la paix,on puisse au moins repousser tout autoritarisme, bannir tout volonté de totalitarisme.
Ramanujam Sooriamoorthy
P.S. Nous n’ignorons pas que ce texte ,dont la dimension partielle est trop évidente pour mériter d’être mentionnée, pourrait sembler partiale également, quand certains n’y verraient de l’américanophilie.Quant à nous, nous avons simplement voulu souligner ce que peut l’Amérique; non qu’elle le fasse effectivement , mais c’est à tout le monde à aider l’Amérique ,avec elle et contre elle, dans ce cheminement vers une démocratisation qui, au bout du compte , pourrait s’avérer être celle du monde entier.
R.S.

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