DE LA NÉCESSITÉ DE LA FICTION
Il est tentant, en tout cas facile, de se dire et de se laisser dire que le mensonge est consubstantiel à la politique,et ce naturellement,comme si la Nature était capable de mensonge.Or,il n’est pas sûr,il n’est surtout pas vrai que la Nature s’amuse à proférer, naturellement ou non, des mensonges ; il n’est même pas du tout démontré que les animaux eux-mêmes, s’agît-il du renard qui rusé ne l’est peut-être que pour notre imaginaire malade , aient développé cette faculté dont on se peut demander si elle n’est pas ,bien plus que le rire, le propre de l’Homme.Mais en tenant le mensonge et la politique pour intimement et organiquement liés ,c’est l’homme politique,au sens courant de ce terme, qu’on exonère ou qu’on cherche à exonérer de tout reproche, à absoudre de tout blâme,n’hésitant à ajouter , en guise de justification, en guise de ce que l’on croit être un élément de justification,que des raisons pratiques,sinon stratégiques ,l’y contraignent,un homme politique qui refuserait de mentir n’étant qu’un nigaud voué à l’échec et au ridicule.Et l’on ne s’avisera de tenir rigueur à l’homme politique de mentir,alors même qu’il est pris en flagrant délit de mensonge , tout en agissant avec la plus cruelle sévérité contre un enfant qui se fût permis de glisser ne serait-ce qu’ une peu troublante contrevérité.Qui donc,cependant, témoignerait de quelque réluctance à fustiger l’homme politique,pour ne considérer que lui,et ses mensonges, sinon quelqu’un qui serait lui-même un fieffé menteur,ou encore un lâche,quelqu’un qui ,au fond, ne doit pas avoir beaucoup de respect pour lui-même ?Et ils sont ,hélas ! nombreux ,même si certains d’entre eux ont la douteuse excuse d’ignorer --------------mais ne s’agit-il pas plutôt de dénégation et de sublimation ?---------------l’ampleur de leur turpitude.Et que peut penser l’homme politique lui-même,que doit se dire un homme politique, fût-il particulièrement malhonnête et méprisable , de quelqu’un qui l’approuverait et se prosternerait à ses pieds ,alors même qu’il se montre et se révèle dans toute l’infamie de son abjection et de sa déchéance ?
Cela dit,même si les hommes politiques mentent, même si la plupart des hommes politiques ne sont point au mensonge allergiques , il est inexact que le mensonge et la politique soient comme l’avers et le revers d’une même pièce,qu’ils soient plus inséparables encore que Pylades et Oreste.Qu’une certaine pratique de la politique,que certaines pratiques de la politique,mais qui n’ont plus grand-chose à voir avec les affaires de la cité, fassent effectivement du mensonge leur arme de prédilection,qui le peut nier ?Est-ce à dire ,pour si peu,que la pratique politique s’y résume et réduit ?On peut craindre qu’il n’y ait là un effet de catachrèse,étant donné que la politique ,que l’on prendra un soin intense à distinguer du vide administratif qui,dût-il prendre la forme et l’allure d’une riche et inépuisable téléonomie aux ressources sans cesse renaissantes, n’en serait pas moins répétitif, triste et, en définitive,rétrograde, ne peut se sustenter que de fictions.De ne point comprendre cela ,on se condamne à la cuisine du réalisme politique; mais non seulement souffre-t-on d’une insondable incapacité à se pénétrer de cette idée,au demeurant,relativement superficielle, on va même jusqu’à conclure ,de ce que la fiction se veut parfois mensongère,oublieux que même là elle nous en apprend bien plus sur la réalité que nos vaines tentatives d’appréhension immédiate de ce qui s’offre à nos sens apparemment éveillés, à une parfaite synonymie entre le mensonge et la fiction,les tenant pour éternellement interchangeables.
Il y a plus d’une version des rapports possibles entre la politique,le politique et la fiction.Un premier régime de fictions, en amont de l’action politique en quelque sorte et la conditionnant, découle d’une herméneutique ,constamment remaniée,car nullement à l’abri de quelque erreur, des faits,de la réalité,ou ,plus modestement,de fragments de la réalité, motivée par une réaction de refus face à ce qui frappe comme étant ,peut-être à tort, inacceptable,et qui, en retour , la renforce et la transforme en volonté d’action.Les fictions nées de cette herméneutique, des interprétations certes, mais également des déductions et ,surtout, des productions, autrement dit des constructions , des inventions, seront jugées peu dignes d’attention par ceux pour qui la politique n’est, quoi qu’ils affichent par ailleurs,que la répétition nauséeuse du même , déchet du ressentiment et de la médiocrité, mais aucune politique véritable n’est sans elles possible, aucune transformation du réel,aucune inscription de la différence dans le cycle interminable des répétitions,c’est-à dire également des stéréotypes, des idéologies, des dogmes,qui n’en finissent de polluer l’existence,tout en se donnant pour des manifestations de la différence , de la nouveauté.
Faisant pendant à cette première série , qui sans cesse se renouvelle,grâce à l’esprit critique,à la lecture attentive par-dessus tout,à l’interstice entre les signes du langage, de fictions, un autre ensemble,plus dynamique encore, plus actif , de fictions,mais logé dans le lieu sans lieu d’un lieu toujours à venir.Re- créations permanentes de l’espace et de la temporalité dans lesquels s’épanouissent et s’évanouissent les êtres et les choses dans le respect de leurs différences mutuelles,elles ne constituent pas tant la négation du réalisme politique que sa transmutation.Choix difficile ,d’autant plus difficile qu’il peut sembler incompréhensible;d’où le triomphe du réalisme politique, le sacre du boutiquier et du voyou, le règne des accomodements ,et la suprématie des expédients.
Mais quand la politique se nourrit d’expédients ,et non de fictions, on peut craindre que le politique ,lui, ne se gave d’excréments et ne, conséquence obligée, traite les autres comme ils ne le méritent peut-être jamais. .Contre tout cela, il faut apprendre à mobiliser les atouts de la fiction,et la tâche est moins difficile qu’on ne le croit,pour peu qu’on se rappelle que, du fond même de la scatologie qu’il cultive et dont il se régale, le réalisme politique entend ,lui aussi, parfois , l’appel de la fiction.Parfois seulement; ce n’est déjà pas si mal,cependant.
Ramanujam Sooriamoorthy
Friday, March 11, 2011
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