L’ENGAGEMENT, DU GAGE À LA GAGEURE
On pourrait,par générosité ou par naïveté, ou encore par idéalisme,poser qu’à l’origine de tout engagement politique, tout en se gardant de confondre l’engagement politique avec l’engagement en politique, les deux pouvant ,malgré la très grande proximité qui les parfois,sinon souvent, caractérise, se révéler l’un à l’autre farouchement hostiles, le précédant immédiatement et s’identifiant avec lui, s’inscrit nécessairement un refus , tantôt bavard,tantôt silencieux,mais toujours violent, même quand il ne s’exprime par le truchement d’une violence traditionnelle, d’un certain état de choses , refus de l’humaine condition qui se réduisant, dans un premier temps, à des reproches adressés à l’existence même, se transforme , quand il en est capable, en volonté de transformer la vie , ou, moins héroïquement,mais non moins dramatiquement, refus , lié à un sentiment ,à une explosion d’indignation et de révolte , de ce qui frappe comme étant injuste,inacceptable,non simplement ni seulement en vertu des prérogatives réelles ou/et imaginées de la loi du coeur, mais surtout grâce à la faculté de convoquer,par le biais de la lecture,les juridictions conjointes du coeur et de l’esprit.Toutefois ce refus , qui fait honneur ,non pas tant au sujet politique réel lui-même,qu’au sujet politique générique ,ne prélude pas forcément à un véritable engagement,dût-on en garder le souvenir tout le long de sa vie.
Au sortir de cette espèce de révélation qui secoue le sujet de la passivité et l’arrache à la routine dont il demeurait jusque-là ,sans le savoir, prisonnier , un engagement politique,qui prendra nécessairement l’allure ,sous des formes certes variées, d’un combat acharné contre l’inacceptable ,contre l’injustice ,en acte aussi bien qu’en puissance, devient possible.Rien,cependant, n’en garantit la pérennisation.Qu’il soit solitaire ou collectif, cet engagement risque toujours d’être débordé par les exigences du quotidien,dévoyé par la tentation de la paresse et perverti par les sirènes de la facilité, du confort et du plaisir,quand,pire,-----------mais n’est-ce point au fond la même chose ? ----------il, s’oubliant, prendrait la forme d’un engagement en politique.
Mais corrélativement,il n’est pas exclu, encore que le cas soit plutôt rare, que ce qui a commencé comme un simple et vulgaire engagement en politique finisse par se muer , non seulement par réaction de frustration,mais aussi et surtout, en raison de cette visqueuse sensation de dégoût et d’écoeurement qui,parfois, même chez les plus ignobles d’entre les hommes, s’insinue, face à la persistance de l’inacceptable, à la permanence de l’oppression et de l’injustice ,contre l’inutile misère du plus grand nombre,source de l’opulence d’une minorité de parasites et d’exploiteurs, en engagement politique , et il n’y a d’engagement sans action,laquelle est,avant tout,action de l’esprit qui réfléchit, qui analyse, qui produit les armes, c’est-à-dire les concepts , nécessaires à la destruction de l’idéologie et à la réinvention de la réalité.
Qu’on ne se méprenne toutefois: la destruction de l’idéologie, des idéologies si l’on préfère, et la réinvention de la réalité,l’action politique proprement dite, ne sauraient être définitivement menées à bien.Elles n’ont pas de fin ; plurielles et polymorphes ,elles sont interminables et doivent toujours être réinventées, faute de quoi elles dégénèrent et se figent elles aussi en idéologie qui, comme chacun le devrait savoir, n’est autre chose que le travestissement de la réalité.Or cette action-là passe , du moins pour l’heure , et peut-être depuis toujours et pour toujours, par la quête et la conquête du pouvoir.Et le pouvoir lui-même , quels qu’en soient les avatars, renvoie toujours ,en définitive , à un point d’émission unique : c’est toujours, même là où ses décisions coïncident avec les vues et les voeux d’autres que lui,même là où le consensus semble indéniable, un seul qui décide, qui agit et fait agir,en fonction de ce qu’il tient pour juste ,ou de ce qu’il veut. Et les autres de se conformer,bon gré,mal gré.C’est que le pouvoir est d’essence foncièrement monarchique,sinon dictatoriale.Il n’y aurait à en craindre cependant,pourvu qu’il soit, ce pouvoir, fût-il dictatorial ou despotique, de type éclairé.Mais comment s’en assurer ? Car l’engagement en politique ne vise pas moins le pouvoir,à ceci près toutefois qu’alors que ce dernier convoite le pouvoir pour en jouir et s’en délecter ,l’engagement politique ,loin de considérer le pouvoir comme une fin en soi, n’y voit qu’un moyen, estimant qu’il ne s’agit là que d’une étape à surmonter,pour aller au-delà pouvoir.Cela n’est cependant pas toujours évident.
Qu’est-ce à dire ? Le pouvoir est à l’engagement,à l’action politiques indispensable pour que soit possible l’amorce d’une socialité différente reposant sur la constante remise en question de sa légitimité et de son efficacité, condition obligée pour peu qu’on se veuille allergique à toute forme de dogmatisme,la moindre comprise.Le danger sera toujours grand,bien évidemment, d’un enlisement de l’action politique dans les rets du pouvoir , signe infaillible de sa déchéance.Et la tâche sera ,par conséquent, d’autant plus nécessaire qu’elle s’annonce difficile,voire impossible, mais l’action politique n’a de sens qu’à ce prix, au prix de l’ininterrompue déconstruction du pouvoir dans la marche interminable vers son au-delà ,pour préparer l’avènement d’un espace de liberté et de convivialité dans le respect de tout et de tous.Quand le pouvoir ne sert que les désirs d’un seul, d’un groupe,d’une minorité ,il aura beau être fort,il n’en sera pas moins veule, mais quand le pouvoir se déclare prêt à provoquer sa propre ruine dans un souci de liberté et d’ouverture,il sera peut-être fragile,encore que rien ne soit moins sûr,mais il sera grand, d’autant plus grand que c’est à un autre concept de pouvoir ,à l’au-delà du pouvoir qu’il convie.
Ramanujam Sooriamoorthy
Friday, March 11, 2011
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