DU RÉALISME, MAIS AUTREMENT
Les gens bien intentionnés , race dont il se faut méfier et que l’on aurait bien raison de tenir le plus éloignée possible, aiment bien qu’on fasse preuve de réalisme.C’est pour eux une forme de sagesse,peut-être même la forme ultime de la sagesse.Pour comprendre ce qu’est ce réalisme ,il ne sera point nécessaire d’effectuer quelque retour au Moyen Âge , ni d’analyser le comportement de la bourgeoisie du dix-neuvième siècle, ni même d’aller se promener chez les Soviétiques, vu qu’il s’agit tout simplement de ce qu’ils croient pouvoir appeler le sens commun ,et quelque commun qu’il soit ce sens –là, ils n’hésitent, avec cette assurance énigmatique que l’on doute de pouvoir jamais comprendre, à y voir l’expression même du bon sens,pour ne pas dire de la Raison.Ce réalisme-là n’est autre chose qu’invitation à se contenter de ce qui est; il commande de tempérer, sinon d’étouffer, ses désirs et de ne réclamer que ce qui est possible.Tout compte fait, il ,sous une apparence fausse de sagesse, exhorte à accepter l’inacceptable.Voilà qui, si l’on peut dire, n’est pas très réaliste ,qui n’est même pas réaliste du tout !
Et pourtant, c’est ce réalisme-là que l’on tient pour rationnel; il puise sa redoutable efficacité du fait de sa naturalisation et du coup on le croit conforme à l’ordre naturel des choses.Or, encore qu’il faille se demander ce qu’est le naturel,la Nature,ce réalisme –là est tout sauf naturel: il est idéologique.Savamment et soigneusement conçu et aménagé par les puissants et leurs acolytes,il vise à obtenir , à moindres frais, le consentement et la soumission des autres, de ceux dont les idées et les justifications ne coïncident point avec les leurs.Il légitime les misères et les souffrances bien réelles du présent en invoquant les béatitudes illusoires d’un avenir toujours à venir.A ce réalisme qui transforme les êtres humains en moutons ,en ânes et en boeufs,il faut savoir dire Non et opposer un autre réalisme, celui qui réclame l’impossible.
Certains ont pu croire que la politique,et ce n’est pas sans la conscience assurée de leur propre importance qu’ils le disent en prenant la pose et en enflant la voix, c’est l’art du possible.il est heureux qu’ils n’ajoutent point , histoire d’étaler leur inculture, qu’ils sont en train de citer Pascal, car,justement ce que Pascal a dit,c’est pratiquement l’envers ,voire la négation de la formule plus haut évoquée, comme pour marquer que la politique ne saurait être un art, sauf à abuser de ce terme ( toujours cet effet de catachrèse ).Aux yeux de Pascal, c’est le possible qui est l’art du politique.Pour qui sait lire, le mot de Pascal est terrible,qui dit clairement que le politique ne saurait s’occuper que de cela seul qui est possible;son champ d’action est fort réduit ,limité à cela seul qui est faisable,autrement dit à cela dont tout le monde est capable, puisqu’il s’agit de ce qui est possible.
Le territoire de l’art ,par contre, est bel et bien celui de l’impossible.Et l’être humain est précisément cet animal quine saurait se satisfaire de cela seul qui est possible.A cet égard, les conséquences,que le lecteur aura vite fait ,dans sa perspicacité, de relever,de la proposition de Pascal sont encore plus troublantes, mais continuons.A partir du moment où quelque chose se présente comme étant possible, autrement dit faisable, c’est-à-dire en définitive facile,le sujet humain, que l’on distinguera des semblants de sujet humain( il s’agit là d’une question dont je ne saurais traiter dans le cadre de ce texte et il m’y faudra certainement revenir,) ne saurait s’y intéresser.Il ne peut, sauf s’il y est contraint par la nécessité,que s’en détourner pour consacrer son attention et son énergie,voire son intelligence à ce qui interpelle le sentiment de sa dignité personnelle et résonne comme un impossible défi à ses sens exaltés.C’est ce réalisme-là,et lui seul, qui est à la hauteur de l’humaine dignité,ou , si l’on préfère,plus modestement de l’humaine condition, et qui pourrait permettre éventuellement que l’on parle, sans ridicule,de l’humaine grandeur , et non ce réalisme de pacotille qu’on cherche à habilement imposer pour pérenniser l’injustice et l’exploitation.il ne faut cependant nullement mettre ce réalisme ,le réalisme du possible, sur le seul compte de la volonté de malfaisance,la bêtise y a son rôle,la solide et inébranlable bêtise du sens commun qui croit toujours bien dire et bien faire et entreprend l’apologie du réalisme du possible en toute bonne foi,la conscience tranquille et heureuse, car elle ne saurait concevoir qu’on puisse vouloir aller au-delà du possible.
Mais une autre politique est possible,elle est même nécessaire ,ne serait-ce que parce qu’elle peut contribuer à la dignité de l’être humain, et de là au respect des êtres et des choses dans l’absolu de leur singularité et de leur diversité respectives.C’est ce qu’on pourrait appeler la politique de l’impossible,ou encore le réalisme de l’impossible, dont on peut se demander s’il existe un seul être au monde-----------mais tous les êtres n’en sont peut-être pas,---------------qui n’y ait point ,au moins une fois, songé.D’autant plus qu’il suffit ,pour qu’on y songe ou en rêve, d’un simple sursaut d’orgueil,mais l’orgueil est sans doute pour beaucoup une passion inutile.
Le réalisme de l’impossible repose sur le refus actif de toute idéologie et la conviction que l’on peut toujours,et surtout que l’on doit,lutter contre tout ce qui corrompt ,au nom du Progrès parfois, ou encore au nom de l’ordre et de la paix,les relations entre les humains eux-mêmes et celles qu’ils entretiennent avec tout le champ de la Création.Ce sont là les prolégomènes indispensables à une politique qui , considérant le sujet humain comme une somme inépuisable de potentialités qu’il aspire à réaliser et comme une fin en soi,le met à même de se toujours dépasser sur tous les plans imaginables , sans pour autant porter la moindre atteinte à qui que ce soit,à quoi que ce soit. Utopie ? Mais non,voyons,il s’agit de réalisme, du seul réalisme qui mérite une attention permanente,et c’est le réalisme de l’impossible.
Ramanujam Sooriamoorthy
Friday, March 11, 2011
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