LE TEMPS DU POLITIQUE
Il faut au politique, le politique étant celui qui activement et entièrement à la politique et à cela seul , si possible , s’adonne , du temps; à tout le monde sans doute, et peut-être même à tout vivant, mais surtout , semble-t-il, au politique,qu’il soit au pouvoir ou non. ( A-t-on , cependant , jamais rencontré un politique qui ne se comportât comme s’il n’était au pouvoir,ou, comme s’il n’allait sous peu ,se trouver au pouvoir ?Non qu’il n’y en ait , mais on risque de passer beaucoup de temps à chercher,un peu comme Diogène,et une vie risque de n’y pas suffire.) Et le politique lui-même est le premier à affirmer, sur le mode de la protestaion ou de l’indignation, se plaignant sans se plaindre, s’excusant sans s’excuser,jouant à la fois le rôle de victime et celui de héros, celui de la victime héroïque aussi bien que celui du héros victimaire, qu’il lui faut du temps, comme pour bien faire comprendre que le temps lui fait défaut. S’il ne parvient à honorer ses promesses, c’est la faute au temps qui ( toujours ) manque , fait défaut,peut-être également celle des temps.Toutefois , ce n’est pas cela qui l’empêchera de se donner pour satisfait de ce qu’il aura, d’après lui, su accomplir.
Le temps au politique fait défaut , car il arrive toujours trop vite, trop tôt , à un moment où, s’il faut l’en croire , presque rien n’a encore été fait et où il reste encore tout à entreprendre. Ce temps qui lui aura manqué en son absence, alors qu’il attendait son heure, ce temps à jamais enfui et enfoui qui n’aura jamais été le sien a pour corrélat un autre temps qui,lui non plus, ne sera jamais le sien : le temps désiré avec ardeur et désespoir, le temps voulu avec rage et optimisme,mais qui, toujours à venir , jamais ne se conjugue au présent de l’indicatif , pour ceci, entre autres, que c’est le politique lui-même qui estime n’avoir jamais assez de temps, qui argue que le temps lui sera toujours insuffisant ,qu’il lui en faudra toujours plus et qui n’hésite rituellement ,après vingt ans de carrière, à sentencieusement rappeler qu’il ne saurait réaliser des miracles du jour au lendemain, autrement dit au bout de vingt ans.Tout se passe donc comme si le temps passé et le temps à venir conspiraient pour faire du temps du politique un temps nul s’abolissant ,non dans un flot, mais dans un marécage de récriminations et de ruminations,ou pour, plus généreusement, le constituer en temps immobile de la répétition aussi monotone qu’inutile d’un passé dont il est incapable de s’affranchir,et qu’il ,selon toute probabilité, secrètement rêvait d’imiter.
Mais le temps au politique fait défaut , et, rappelons-le, c’est le politique lui-même qui l’affirme ,ou le prétend , pour une raison supplémentaire qui , fût-elle en harmonique avec celles précitées, est bien plus troublante encore , car le temps qui, faute de temps, demeure disponible au politique,il ne semble pas qu’il le consacre à la politique.A moins que l’on ne considère que faire de la politique, c’est prendre des bains de foule, serrer des mains, prononcer des discours que presque personne n’écoute,voyager en première classe, se faire saluer et servir aux frais du peuple,et plaider la cause de marchands et d’entremetteurs.Et il ne s’agit point là d’un simple effet de catachrèse, mais d’un enlisement dans les sables de la déraison.Ajoutons tout de même que trop souvent le politique se trouve condamné à faire de son temps cet usage si peu rationnel,si peu noble surtout.On ne s’interdira pas,en même temps, de penser que ,s’il n’y prenait plaisir et n’en tirait ,à sa manière à lui,profit,il ne céderait à des demandes et à des suppliques qu’il ne saurait,malgré tout, ne point traiter avec un minimum d’agacement , sinon avec mépris, tout en y cédant.
Ainsi donc, non seulement le politique n’a-t-il jamais assez de temps,mais ,en plus, on fait tout pour lui faire perdre le toujours peu de temps dont il dispose, en l’obligeant à s’intéresser, croyant l’intéresser, à ce qui ne devrait même susciter ,chez lui, le moindre intérêt.Or cela n’est point juste, le manque de caractère y fût-il pour quelque chose,et cela ne,surtout ,laisse d’être inquiétant.Car on peut ,en toute honnêteté et sans naïveté aucune , douter qu’il ait jamais existé un seul politique qui n’ait jamais souhaité faire un don total de son temps ,sinon à autrui, du moins à l’idéal qui un jour le vint visiter.Certes, il y a des gens qui croient seulement faire de la politique ,cependant que d’autres font seulement semblant d’en faire; mais ce n’est point à ceux-là que l’on songe ici.Le politique dont il est question est celui dont tout le monde ,ses adversaires compris,voire ses ennemis, se ferait un heureux devoir de protéger,si l’on peut dire, le temps, de le préserver pour qu’il en fasse son allié, pour peu qu’il ait compris qu’un politique qui n’a pas le temps, un politique à qui le temps toujours fait défaut , n’en est pas un ,et que le temps du politique ,c’est le temps de la réflexion non moins que celui de l’action,le temps de la négation de ce qui est et ne devrait être,en vue de l’affirmation de ce qui , dans l’apaisement le moins incomplet des antagonismes, devrait être et commence tout juste à être.
Ce temps-là, le véritable temps du politique, ce n’est ni le temps du ressentiment,ni celui de la rêverie fantasmatique ,ni surtout celui de la jubilation,mais celui du travail , du travail qui se sait inachevable par définition et dont l’urgence n’en, par conséquent,est que plus pressante.Mais pour avoir limité la politique au seul exercice du pouvoir et, surtout, pour avoir confondu le Pouvoir avec ses seuls signes extérieurs,avec ses oripeaux , d’aucuns ont fait du temps du politique le temps inerte de réalisations vides.Et cela, il le faut non seulement regretter ,mais également combattre. C’est un réel soutien que l’on apporterait alors au politique ,tout en se livrant soi-même à de l’action politique , sans en laisser le soin aux seuls politiques.
Ramanujam Sooriamoorthy
Friday, March 11, 2011
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