DANS LE FRACAS DES PORTES ENFONCÉES DE LA BASTILLE
Ce qui nous sert ici de titre, ce qui fournit l’intitulé à notre propos, c’est, on l’aura reconnu, une citation de Sade. S’il y a quelqu’un, s’il y a une oeuvre,pour ne pas dire un événement, qu’il convient derappeler au moment où l’on célèbre l’anniversaire de la Révolution française, c’est bien Sade.Parce que Sade constitue un tournant sans doute, mais surtout pour ceci que l’auteur de Justine , c’est en quelque sorte la figure janusienne de la Révolution.
Sade est révolutionnaire bien moins par la dimension dite érotique ou pornographique de son oeuvre ,que par la découverte ,scandaleuse car difficile à accepter,de l’humaine propension à trouver son bonheur dans le mal, et la proclamation qu’il en diffuse.Et la proclamation de cette découverte----------- il n’est question que de la vérité chez Sade-------------, le divin marquis nous la donne à lire sur le mode de la fiction,la décalant de la réalité afin que nous en puissions mieux appréhender la vérité.Sade ici anticipe Brecht : c’est par un effet d’éloignement, de distanciation------------ce que Brecht plus tard appellera le verfremdungs effekt,---------qu’il met en lumi ère la sublime noirceur des passions humaines ,nullement pour les condamner , mais pour les révéler telles qu’elles sont. Ce sera à un certain Freud réservé de les analyser et de nous les faire mieux comprendre.Mais ce que Sade nous donne ,lui, à comprendre ‘ dans (c)e fracas des portes enfoncées de la Bastille’, c’est la liberté qui peut et qui même doit pouvoir découler de ce constat ,pourtant horrible, que l’homme ,contrairement à ce qu’affirmait Kant qui voulait qu’il trouve son bien, son bien-être , dans le bien, dans la vertu, cherche et trouve son bien dans le mal,voire dans le seul mal, dans la souffrance qu’il inflige non moins que dans celle qu’il subit.
Cependant, la liberté en question ne se réduit pas à la liberté de faire ou/et de subir le mal.L’horrible constat de Sade aurait logiquement dû conduire à une sociologie des passions humaines.Il n’en a pas eu le temps; par contre,il a bel et bien trouvé le temps de révéler , de nous révéler ce qui ,pour notre confort moral, doit demeurer caché et enfoui. Et cela, il le fait en installant un milieu de pure fiction,en construisant un espace dont le lieu et le temps sont fondamentalement imaginaires, créant un écart entre la réalité ( celle de nos désirs inconscients ) et la représentation de ladite réalité, afin de la rendre visible dans sa cruelle nudité et, surtout, pour que nous en puissions librement tirer les conséquences qui en peuvent résulter.Au fond, c’est peut-être à une conjuration de certaines passions que convie l’auteur des Infortunes de la vertu ,et nous ne craindrons pas de dire qu’il s’inscrit ainsi dans cette longue tradition de moralistes qui remonte à La Fontaine, sinon à Boileau.Cela ne surprendra que ceux qui ne sont pas attentifs au langage de Sade.
L’inacceptable, chez Sade, ce n’est pas tant qu’il propose ,proposerait un contenu immoral ou pornographique, que le fait qu’il l’énonce,à vrai dire le produit dans le langage le plus épuré qui soit.C’est dans un langage très classique, soucieux des règles de la grammaire et de la syntaxe comme aucun autre, dans un langage d’académicien, qu’il nous livre le secret des penchants humains, et cela est littéralement révolutionnaire.Il confronte l’orthodoxie langagière à l’hétérodoxie des passions ,les fait coexister tout en les renvoyant dos à dos.Tel Janus, l’homme est cet être qui regarde à la fois dans deux directions opposées , et vers la pureté de l’ordre linguistique et vers l’obscénité ,non pas de la passion mais, du désordre passionnel.Devançant Joyce, Sade nous apprend que la pureté, voire le discours théologique,n’est possible qu’à la condition d’avoir circonscrit tout le champ de l’obscénité, et c’est bien à cela qu’il travaille.
La révolution sadienne ne consiste nullement dans le mépris de la loi et le triomphe des passions, mais dans la confrontation permanente de la loi et de la transgression de la loi ,et la permanence de cette confrontation , qui suppose ni le primat absolu de la loi, ni l’empire total de la seule transgression, signifie l’impossibilité de toute idéologie.De ne le point comprendre, on omet de voir en quoi Sade est révolutionnaire, on s’expose à ne pas voir que c’est véritablement avec lui que s’accomplit la Révolution française en tant qu’elle ne cesse de s’accomplir------------ ce qu’un Trotsky n’aurait certainement pas désavoué----------------, instaurant un espace de liberté au sein duquel, se mesurant sans fin l’ordre et la dénonciation de l’ordre sont appelés à s’accepter tout en s’excluant indéfiniment et pour toujours.Il s’agit d’une révolutiion à laquelle il n’y a pas de terme possible; elles est toujours à refaire, se remettant elle-même sans cesse en question.C’est en cela que Sade est profondément révolutionnaire, qu’il est comme l’emblème caché de la Révolution ,celui qu’aucun mouvement, que rien de ce que l’on baptise un peu trop rapidement du terme de révolution ne saurait vouloir identifier, sans doute parce qu’avec lui , c’est toute forme d’orthodoxie, y compris l’orthodoxie révolutionnaire qui, soit dit au passage ,est si peu révolutiionnaire, qui se trouve congédiée.
Ramanujam Sooriamoorthy
Saturday, October 8, 2011
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