Saturday, October 8, 2011

PAR MONTS ET PAR VAUX , JOSÉ
Au milieu de la plaine panique, là-bas près du Brésil
Emilio Oribe
Il y a des personnes capables de transformer le geste le plus banal,le plus anodin qui soit en expression de génie. Ce sont véritablement des êtres supérieurs, n’en déplaise à ceux qui trouvent que les hommes sont tous égaux, sauf eux sans doute, preuve suffisante s’il en fallait de leur lamentable et insondable médiocrité.Le football en lui-même est un jeu plutôt vulgaire ( au sens étymologique )qui ne saurait susciter que de médiocres passions.Et pourtant, cela nonobstant, il y a des joueurs ,à commencer par Didi qui, le premier,inventa l’expression jogo bonito ( le jeu merveilleux) et qui révolutionna le football en expliquant que c’est au ballon à aller au joueur et non le joueur au ballon , qui ont su faire de ce jeu quelque chose de magique, de surnaturel, quelque chose qui serait même supérieur à ce qu’on nomme, familièrement ou pompeusement, art.S’agissant de joueurs venus du Brésil ,pays où l’on pratique le vaudou et où le surnaturel se confond souvent avec le quotidien,cela ne surprendra peut-être, et un joueur comme Garrincha, ne peut, surtout pour les yeux européens qui le découvrent en Suède en 1958, qu’être pris pour un sorcier.
Nous avions , nous aussi,à Maurice, notre sorcier.Il s’appelait José Desveaux et il n’y a peut-être pas eu dans l’histoire du football à Maurice, du moins ,à notre connaissance,de joueur,si l’on veut bien faire exception de Régis Jean que nous n’avons pas eu la chance de voir évoluer et dont tous les connaisseurs étaient superlativement admiratifs, qui fût plus talentueux ,plus spectaculaire, et plus impressionnant que lui.Le spectateur pouvait avoir l’impression que pour Desveaux,le football n’était qu’un jeu et que, par conséquent,on ne pouvait compter sur un tel joueur qui toujours avait l’air de s’amuser en dribblant sans arrêt, en feintant, en ridiculisant, malgrélui peut-être, l’adversaire, lui faisant comprendre qu’il n’était pas à la hauteur,vu que lui,il était un génie.Son génie, José Desveaux le donnait en spectacle en paralysant tout seul toute une équipe.Recevant une passe, il dribblait un joueur ou deux, puis s’arrêtait, avec l’exquise désinvolture d’un acrobate parfaitement assuré de sa maîtrise, posait le pied sur le ballon et attendait ,plongeant toute l’équipe adverse dans la panique, cependant que ses coéquipiers ,éperdus d’admiration, contemplaient en souriant, et aussitôt que l’on tentait----------et on s’y mettait toujours à au moins trois,------------ de lui prendre le ballon, il commençait son festival de dribbles, dansant la samba au milieu du terrain, effectuant des percées inquiétantes dans les rangs opposés,puis s’arrêtant brusquement , prenant tout le monde à contre-pied, remontait le terrain , jovial et presque moqueur.Et si on l’attendait,au lieu d’aller vers lui, il prenait alors les devants ,dribblant une équipe entière.Cependant,il convient de noter que José Desveaux improvisait et innovait en permanence;ses dribbles et ses feintes n’étaient( presque ) jamais prévisibles.Il réinventait constamment son jeu et aucun logiciel , si perfectionné soit-il, n’aurait été de quelque secours pour analyser son jeu; d’où la facilitéavec laquelle il mettait en déroute tout un bataillon de joueurs; d’où aussi, sans doute, sa difficulté à évoluer au sein d’une équipe.Mais quand on est quelqu’un de supérieur--------------et pourtant ,il y avait bien des joueurs chevronnés à l’époque,à l’instar de Robert de Maroussem toujours impérial, ne courant jamasi, sauf dans les matches internationaux,et supervisant le terrain tel un général lançant ses hommes à l’assaut,de Pierrus qui, bien avant Maradona, s’amusait à marquer des buts de la main, sans que jamais l’arbitre ne s’en aperçût, de Raman Doona que nous avons vu à l’oeuvre avec une aisance toute juvénile alors qu’il était déjà fort âgé et dont l’intelligence de jeu n’a peut-être jamais été égalée,même s’il lui arrivait de se permettre des libertés peut-être inexcusables, mais ô combien charmantes, et de tant d’autres------------,on ne peut que traiter le succès avec dédain, sinon avec mépris.Si pour les autres ,le succès tenait lieu de réussite,pour Desveaux la réussite,la sienne ,quand il régnait sur le stade, au milieu du terrain,semant la panique chez l’adversaire,nous transportant là-bas ,près du Brésil, vaut tous les succès.
Il lui arrivait aussi de marquer des buts;nous avons surtout en tête un match de 1965 entre la Fire Brigade et la Police,lors duquel il marqua alors que toute l’équipe adverse se trouvait dans les bois.On n’a jamais su comment il s’ y était pris pour réaliser ce but absolument diabolique.JoséDesveaux jouait avec une telle facilité que l’on pouvait croire qu’il jouait tout naturellement. En fait, il l’a ,un jour, avoué, c’est un ami malgache---------et à Madagascar aussi il y a des pratiques qui rappellent le vaudou,----------qui lui avait appris à jouer et qui lui avait fait apprécier la beauté du football brésilien. Il a donc appris à jouer,il a travaillé,le football n’était pas pour lui qu’un simple jeu, et ce n’est que ,par monts et par vaux , en montant et en descendant,que José Desveaux est devenu ce génie du football,le seul qui, avant Augustin Okocha, nous fît penser à Garricha, démontrant qu’il ne savait pas moins que Flaubert que le génie, c’est une longue patience.
Ramanujam Sooriamoorthy

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