SUR LES ROUTES ET DANS LES STADES,IL COURAIT
Il n’y a pas si longtemps la pratique du sport, tant individuel que collectif,était à Maurice réputée une perte de temps.Le temps consacré au sport, c’était autant de temps soustrait au travail,aux études, sans compter que faire du sport,c’était toujours courir le risque de se blesser.Et pour les classes pauvres, non moins que pour les familles de condition modeste, la notion de sport n’existait même pas;on n’y connaissait que celle de jeu et le jeu, c’est le secret de Polichinelle, est toujours plus ou moins synonyme de frivolité.Par contre, chez les riches oisifs, chez ceux qui se livraient à des bacchanales permanentes à la sueur d’autrui, faire du sport, c’était presque une activité noble, réservée à ceux considérés ,la plupart du temps à tort, comme étant nobles,d’une noblesse artificielle et douteuse ,il le faut préciser.Le sport de compétition surtout semblait l’apanage des riches, des classes socialement et économiquement élevées, car c’était là, voire là seul , que l’on disposait des moyens, car ayant le temps, la santé et l’énergie nécessaires, pour triompher dans le domaine sportif, à plus forte raison dans les sports individuels,où l’on excellait parce qu’on était le plus fort,le plus beau, mais aussi parce qu’on était riche et pouvait se permettre le luxe de la compétition sportive.( Qu’on ne nous fasse pas dire ce que nous n’insinuons même pas,à savoir qu’il suffit d’être riche, d’avoir du temps et de jouir d’une bonne santé pour briller dans les stades, sur les terrains de jeux, dans les gymnases et sur les routes. D’autres qualités sont requises que la pratique du sport contribue d’ailleurs à évelopper,mais tout ce qui précède et qui peut sembler,peu ou prou, caricatural,ne l’est,hélas!point et renvoie à une réalité qui ,maintenant encore,n’a point tout à fait disparu. )
C’est pourtant dans ce contexte dominé par des inégalités sociales et économiques particulièrement injustes et pénibles qu’un Maxime Anthony, qui, à notre connaissance, n’a jamais été vaincu au saut en longueur et au triple saut,a su s’imposer ;mais s’il y a quelqu’un qui mérite la palme, c’est bien Gérard Marie.Il était coureur de fond ,et à l’époque, les courses de fond commençaient, du moins à Maurice et pour les Mauriciens en général, qu’ils pratiquassent l’athlétisme ou non, à partir de l’épreuve des huit cents mètres , épreuve dans laquelle, soit dit au passage, Cyril Curé n’a, sauf erreur de notre part, jamais été battu.Dans les autres épreuves,à partir des quinze cents mètres et dans les cross,Gérard Marie était tout simplement impérial.Certes,il ne remportait pas toutes ses courses, se faisant parfois battre par Edmond Gabriel ou par Curé, se laissant même une fois, une seule fois croyons-nous savoir, devancer par Michel Giraud, mais il était le plus régulier.Nous n’avons pas connaissance qu’il n’ait une seule fois pas eu sa place sur le podium.
Gérard Marie prenait à l’évidence un plaisir extrême à courir, illustrant ce que Roger Caillois, pour décrire ce sentiment, cette sensation de jouissance extatique que procure le contact avec le sol , l’air, le vent, la nature en général, appelle l’ilinx .Quand il courait ,il avait toujours comme un sourire aux lèvres : il s’amusait visiblement,avait l’air de se moquer gentiment des autres participants , dont on eût dit qu’il savait parfaitement que tous leurs efforts étaient vains ,et qu’il allait,passant à l’attaque au moment propice, les laisser sur place pour traverser la ligne d’arrivée ,un immense sourire illuminant son visage épanoui.Il faisait preuve, notamment dans les quinze cents mètre, d’un sens tactique tel , suivant la course, plaçant des démarrages soudains et attaquant au moment le plus stratégique , que l’on n’en pouvait que conclure que, pour remporter une course,il faut de l’intelligence.
Et cette intelligence-là , celle qui permet de remporter des courses comme en jouant, Gérard Marie l’avait,l’ayant acquise à l’entraînement, au prix d’une discipline inflexible---------il ne fumait ni ne buvait,lui qui venait d’un milieu où il était tout naturel que l’on s’offrît un verre ou deux, comme a pu nous l’affirmer plus d’un, et mettait en garde les jeunes athlètes, à qui il prodiguait généreusement et en toute humilité des conseils, contre les dangers de l’alcool et du tabac,------------et en soignant son alimentation, lui qui pourtant ne devait pas toujours manger à sa faim.Il était issu d’un milieu pauvre, mais telle était sa passion pour la course à pied , qu’il n’y a aucun sacrifice auquel il n’eût consenti pour la satisfaire.Nous inclinons à penser qu’à la limite peu lui importait de triompher et que seul comptait le plaisir de courir.Si aux quinze cents mètres,il lui fallait bien déployer tout son sens tactique, à partir des trois mille mètres et dans les cross, il lui suffisait de courir , menant un train d’enfer,et il avait presque toujours vite fait de semer les autres concurrents.Nous n’avons pas souvenance de quelque défaite de Marie aux trois mille et aux cinq mille mètres------------nous ne parlerons pas des dix mille mètres, vu que nous ne rappelons plus très bien si cette épreuve était ( déjà ) au programme à l’époque------------,et s’il ne remportait pas tous ses cross, il était toujours au moins deuxième ou troisième.
Ce que nous retenons surtout de Marie, c’est son immense simplicité : il ne se permettait pas, exception faite de ceux qu’il connaissait vraiment, de tutoyer les autres, fussent-ils extrêmement jeunes ou même tout petits,comme nous l’étions à l’époque.Et il lui était impensable de tutoyer quelqu’un de plus âgé que lui,même quand on usait du tutoiement, parfois non sans quelque désinvolture confinant à de l’impolitesse, envers lui.Il n’était jamais avare d’éloges pour les autres, à condition ,bien entendu, qu’ils en fussent dignes.Ainsi regardant courir le jeune Alain Teycheney,il n’hésitait à dire ouvertement toute son admiration pour ce coureur dont il trouvait la foulée absolument superbe et qu’il déclarait promis à un avenir des plus éclatants.Jamais amer dans la défaite------------il était quand même au moins troisième----------------, il avait toujours le triomphe modeste, un peu comme s’il s’excusait d’avoir été victorieux.Tel était Gérard Marie qui devait finir ses jours oublié et se morfondant,pour notre plus grande honte, dans la misère.Il n’aura pas eu droit à la reconnaissance qui lui était ,qui lui est toujours, fût-ce à titre posthume, due.
Mais plutôt que d’évoquer la fin hélas! bien triste de Gérard Marie,nous voudrions, au moment de conclure,rappeler une course,la plus belle peut-être jamais courue à Maurice , les quinze cents mètres du 7 juillet 1963 au stade de Rose-Hill.Au terme d’une course palpitante dont l’arrivée dramatique a été merveilleusement saisie par le photographe du Mauricien d’alors,trois coureurs terminèrent pratiquement sur la même ligne : Cyril Curé, Michel Giraud et Gérard Marie.Curé remporta la course et Marie ne fut que troisième.Cependant , même là, cet homme qui aimait tant à courir, qui courait partout ,sur les routes et dans les stades, demeurait, soit dit sans songer une seconde à faire peu de cas de la remarquable victoire de Cyril curé,demeurait sublime.Après tout, c’était Gérard Marie, l’homme qui n’eût su comprendre que l’on peut vivre sans courir et qui remportait ses courses avec l’aisance d’un milliardaire perdant au jeu une fortune sur un seul coup de dés.
Ramanujam Sooriamoorthy
Saturday, October 8, 2011
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