Friday, March 11, 2011

Comment ( ne pas ) être révolutionnaire ?

COMMENT ( NE PAS ) ÊTRE RÉVOLUTIONNAIRE !
Qui n’a , au moins une fois dans sa vie, cédé, ne serait-ce qu’en imagination, à l’appel , irrésistible non moins qu’effrayant, du mythe flamboyant et spectaculaire de la révolution ? Qui n’a, n’aura, asphyxié par le spectacle de l’injustice et de la misère ( fille de l’oppression ),rêvé de faire sauter des parlements entiers , d’allumer un immense feu justicier, nullement vengeur cependant,il sied de le préciser,, qui saccagerait toutes les richesses dues à la souffrance d’autrui, et d’inspirer une peur mortifère au coeur des exploiteurs et de leurs acolytes ? Mais, encore que la violence révolutionnaire, au sens courant, soit peut-être nécessairement inévitable--------------il s’agit, cependant, d’une question d’une complexité infinie: ils ne sont pas peu nombreux à trouver, de manière postrévolutionnaire ,il est vrai, que Socrate, le Bouddha, le Christ et Gandhi ( pour ne citer que ceux-là ) sont des révolutionnaires encore plus révolutionnaires que le Che lui-même par exemple-------------,il n’est pas sûr que la passion ( au sens étymologique ) révolutionnaire trouve une expression authentique dans ‘ le fracas des portes enfoncées de la Bastille’; elle s’exprime bien mieux et plus dans les idées qui y, le plus souvent inconsciemment, mènent, celles du Deuxième traité du gouvernement civil par exemple, ou encore, et surtout, celles de la Critique de la raison pure.
On conçoit difficilement qu’on puisse être révolutionnaire si l’on n’est pas animé d’un sentiment de révolte; et la révolte suppose la faculté d’indignation.Toutefois,l’indignation et la révolte, si elles peuvent conduire à l’action révolutionnaire,laquelle est avant tout pensée agissante,pensée en action, n’y peuvent seules mener;bien au contraire,elles seraient plutôt de nature à stériliser toute action,et non seulement l’action révolutionnaire.Pour être révolutionnaire,il faut avoir développé ( Comment ? C’est une question qui ,pour l’heure, est toujours en attente d’une vraie réponse.) une aptitude à la compassion; mais encore une fois, la compassion, qui est comme l’intelligence du coeur, à elle seule, ne suffit; il faut également l’intelligence de l’esprit, bien entendu, mais aussi, et surtout peut-être , celle de l’âme,la vertu,ou plutôt la virtu, sinon mieux l’arêtè.Grâce à la conjonction de ces trois formes d’intelligence,la pensée et, donc, l’action révolutionnaires deviennent possibles, sans que pour autant, pour si peu,il y ait la moindre garantie de ne serait-ce qu’un balbutiement d’activité révolutionnaire.
Mais qu’est-ce que l’action révolutionnaire? Si l’action révolutionnaire renvoie à un faire , il s’agit d’un faire qui correspond à un être, à une modalité d’être: toute révolution est d’ordre proaïrétique. On pourrait , en simplifiant, tenir que l’éthique révolutionnaire consiste en une double attitude de refus et d’ouverture :refus de tout ce qui est dogmatique et ouverture vers le non-soi.Il s’agit de se mettre à l’écoute d’autrui, de l’autre ,quel qu’il soit,sans être soi-même le prisonnier de qui que , de quoi que ce soit.Cette attitude, cette action, on pourrait aussi l’appeler générosité ou encore ,respect : respect de la totalité du champ de l’étant , de l’existence -----------je sais bien que ces deux termes ne sont pas synonymes, mais ils sont ici employés en leur sens quotidien-----------à l’exception de tout ce qui peut s’y manifester de contraignant , de dogmatique.Cependant, cette attitude d’accueil, de disponibilité, n’est possible que dans un contexte de permanente remise en question, de questionnement de tout, de tous, à commencer par soi-même.Et il faut pour cela la conjonction plus haut mentionnée de ces trois intelligences -------------cela , comme l’a pu dire un de ces aristocrates comme on n’en rencontre presque plus maintenant,s’apprend ,parfois, mais cela ne saurait être enseigné----------------, condition indispensable pour qu’à la passion révolutionnaire, qui, dans un premier temps, ne diffère guère de l’élan passionné que produit le sentiment de révolte ,et qui, livrée à elle-même , ne mène ,tout au plus, qu’à du nihilisme , s’ajoute le détachement rendu possible par l’alliance de la lucidité intellecttuelle et de la rigueur morale.La passion sans le détachement est mère de la folie,et le détachement sans la passion est père de l’inaction, mais les deux ensemble permettent de penser la révolution et de la croire possible.
La révolution à laquelle il est fait ici allusion peut bien évidemment déboucher sur de l’action violente,elle n’y aboutit pas forcément , à moins qu’on ne juge violent tout ce qui bouleverse les préjugés, ruine les dogmes,démolit les stéréotypes et ‘abaisse la superbe qui tient à tout monocentrisme’;mais il n’y aurait rien à objecter à cette violence –là qui , violence essentiellement lexicale ,langagière, travaille à la production d’idées toujours neuves pour sans cesse modifier le comportement humain , de manière telle qu’il ne se puisse en attitude autoritaire et dictatoriale figer, et qu’il, par contre, toujours ouverture, accueil, respect soit de tout et de tous,sans concession toutefois pour ce qui de près, ou même de loin,rappellerait cette répugnante volonté de dominer qui corrompt et salit toute relation , pas seulement les relations entre les êtres humains eux-mêmes, mais également, celles qu’ils entretiennent ou croient entretenir avec les animaux, les plantes, les choses, avec les êtres ,concrets ou abstraits, organiques ou inorganiques, animés ou inanimés,avec ,comme on dit souvent, le reste de la Création.
Toutefois, le fait que la révolution s’opère sur le plan des idées, du langage, qu’elle ait lieu dans les têtes, du moins pour ceux qui en ont une,ou, comme on croit le savoir maintenant, au niveau du système nerveux central,ne signifie nullement qu’elle se réalise effectivement : elle est toujours à recommencer,à revoir;elle est littéralement sans fin.C’est là sa chance , son joyeux calvaire; elle n’est possible qu’à condition de se toujours inachever.Sinon, elle n’est révolutionnaire que de nom,pour les ignorants et les imbéciles qui se prennent pour de grands révolutionnaires, et ne vaut guère mieux qu’une partie de dominos. Mais il sont nombreux à aimer cela, les dominos.Au propre comme au figuré.Cela ne serait bien grave si certains d’entre eux ne passaient leur temps à croire et à enseigner que jouer aux dominos, c’est faire la révolution.
Ramanujam Sooriamoorthy

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