Friday, March 11, 2011

Etre responsable

ÊTRE RESPONSABLE
A considérer l’usage qui en est fait,on ne peut que regretter que certains mots soient à la portée de toutes les bouches; est-ce par ce que les mots en question ne sont à la portée de tous les cerveaux qu’il en est ( à titre de compensation ? ) fait un emploi aussi abondant que cavalier ?Cela est très possible, sinon certain.Ainsi en va-t-il,par exemple, du mot responsable , dont la mobilisation régulière pourrait faire croire qu’il est maîtrisé avec une rigueur d’académicien.Il n’en est, bien entendu, rien
Ce mot prend ,dans la bouche de certains qui l’utilisent avec ce simulacre de modestie qui caractérise si bien les pires arrogants pour parler d’eux-mêmes en abusant des ressources de la métonymie, une saveur toute particulière,d’autant plus que s’y glisse nécessairement l’insinuation qu’eux seuls , et les leurs éventuellement, savent se montrer responsables.Et pourtant,on pourrait gager que ces gens-là, quand ils eussent entendu parler de Saint- Exupéry , n’en ont pas lu la moindre ligne,ou alors en le comprenant si mal, qu’ils eussent mieux fait de regarder Dallas à la place.Le mot de Saint-Exupéry lui-même a donné lieu à des interprétations outrageusement simplificatrices.En fait, l’auteur de Citadelle souligne la difficulté, voire l’impossibilité, que l’on peut rencontrer à vouloir être responsable, à vouloir rendre compte de ce que l’on (a )fait, de ce que l’on est, à vouloir, se pliant à une exigence que l’on se librement impose, rendre des comptes.Bref, aux yeux de Saint-Exupéry, c’est en étant responsable, en étant une espèce de narrateur-comptable,ou mieux, de narrateur-mathématicien, qu’on est homme;le fait d’être un homme, au sens courant du terme , ne fait de personne quelqu’un de responsable,et c’est tant mieux.Notre auteur ne le dit en toutes lettres,mais, il laisse clairement entendre,pour qui veut bien se donner la peine de lire, qu’être responsable, c’est être capable , être en mesure de donner, de fournir des réponses;ce n’est pas tout à fait,ni forcément, donner des réponses, c’est simplement,et c’est déjà beaucoup, pouvoir en donner, avoir la capacité,que l’on aura conquise, que l’on se sera efforcé d’acquérir , sans jamais être assuré d’y parvenir, d’offrir des réponses, de rendre compte et de rendre des comptes.Et cela suppose une ascèse interminable.
On peut regretter que Saint-Exupéry parle de la capacité à fournir des réponses;nous eussions, quant à nous, préféré qu’il évoquât la faculté de soulever des questions.Il ne semble pas qu’il ait fait grand cas de Heidegger qu’il ne pouvait pas ne pas connaître, mais qu’à notre connaissance il ne mentionne jamais.Néanmoins, la notion de réponse suppose bien celle de question.Personne, cela dit, n’a ,mieux que Heidegger,encore que Platon déjà, à qui l’auteur de Sein und Zeit doit tant, fît de la question, de la forme questionnante,un motif fondamental de sa philosophie,placé l’attitude questionnante au coeur des priorités humaines, quand il n’aurait fait de l’activité interrogeante la seule qui soit digne de cet étant singulier qu’est l’être humain.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous sommes plutôt éloignés de ceux qui croient ,à peu de frais,même quand ils ne fournissent que des réponses de comédie,quand ils ne répondent même pas,être responsables.Et nous sommes plus éloignés encore de ceux pour qui la question,le questionnement ne fait pas question.Ils pourraient même, n’y voyant, par ailleurs, aucun intérêt, nous demander ce que nous entendons par question ,questionner , Au risque de décevoir------------mais qui ?---------, nous dirons que questionner, ce n’est pas tant proposer des réponses que tenter de trouver la syntaxe qui permettrait de questionner justement.Questionner, c’est se mettre en capacité de questionnement ; ‘ marcher vers une étoile,et rien d’autre,’ dirait le grand Heidegger. Et c’est en se mettant, en tâchant de se mettre en capacité de questionnement, qu’on se met en capacité de réponse, qu’on pourrait, un jour peut-être, devenir responsable.Non tout simplement en maîtrisant, fût-ce avec une virtuosité de magicien extraterrestre, des dossiers volumineux ,complexes , difficiles ,peut-être même incompréhensibles --------------mais pour qui ?-----------, et en , sur toute chose, avec la spontanéité d’un pétomane qui, lui , n’en peut mais ,prodiguant des avis définitifs et en imposant des décisions et des actions aussi péremptoires et solennelles que ( souvent ), en définitive, insipides et vides.
Mais comment se mettre en capacité de questionnement , afin d’être,éventuellement, en capacité de réponse ?En lisant, en apprenant à lire, en écoutant; avec cette troisième oreille, dont parlait Nietzsche, celle qui permettrait ,avec Heidegger et de manière postnietzschéenne, d’être attentif, d’essayer d’être attentif à l’être de l’autre, des autres, de tous les autres, d’entendre ,sur toute l’étendue du champ de l’existence, de l’Être, le chant inaudible et incessant de l’Être.C’est la tâche et ce devrait être le souci de tous, car c’est sans doute à cette condition –là que l’harmonie sera entre les êtres eux-mêmes et entre les êtres et les choses possible.C’est surtout le devoir de tous ceux qui,à tel ou tel moment de leur existence, en raison de considérations d’ordre physique, économique,social,caractériel,et même familial, sont en mesure d’exercer,fût-ce à leur corps défendant, quelque forme de pression , d’autorité sur d’autres ,les autres ;c’est avant tout la tâche du politique, du Souverain.Encore faut-il qu’il y pense;mais trop occupé à dépenser,le politique n’a guère le temps, ni, peut-être, même les moyens de penser.D’où le rôle indispensable de l’intellectuel, du vrai,qui, faute de parvenir à se rendre indispensable, faute même de se pouvoir faire entendre,ne doit pas moins continuer à travailler, à parler, à écrire .
Ramanujam Sooriamoorthy

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