Friday, March 11, 2011

Niais ce qui est

NIAIS CE QUI EST
Le hasard a voulu nous mettre sous les yeux un texte dans lequel Haïti est décrit comme étant le pays indépendant le plus dépendant au monde.Cela est tellement vrai, semble, en tout cas, tellement vrai qu’on est en droit de se demander ce qui a pu motiver le rappel d’une telle évidence.C’est tout juste si le texte auquel nous faisons allusion ,et que nous n’avons fait que survoler, ne dit pas que c’est pour avoir voulu, pour avoir osé devenir indépendant qu’Haïti se trouve dans l’état de dépendance qui est le sien.Et cela , en quelque sens qu’on l’entende, est , si l’on peut dire, encore plus vrai.S’il faut entendre le mot, et peut-être aussi le concept,indépendance en son sens le plus strict,il faut bien conclure que l’indépendance n’existe pas , ne saurait exister,ou alors si rarement et si éphémèrement,qu’il n’y faudrait accorder qu’un intérêt passager, l’indépendance étant constituée d’une telle multiplicité d’interdépendances sur à peu près tous les plans.Il n’est point inexact que c’est le jeu des interdépendances qui détermine ce que l’on pourrait appeler le niveau ou le degré d’indépendance d’un pays ,ou même d’un territoire, mais là encore,même le pays le moins dépendant ne dépend pas moins de ceux qui dépendent de lui, ne serait-ce que pour les exploiter et les dominer.Qu’on n’en déduise ,cependant, que nous tenons l’indépendance pour un simple mythe ou un fantasme;le problème tient peut-être au mot indépendance lui-même.
Un pays comme Haïti ne s’est pas simplement voulu indépendant;Ruben Um Nyobè ,Patrice Lumumba ou Ali Boumendjel n’ont pas simplement désiré l’indépendance, s’agît-il de, comme on dit, la vraie.Ils ont voulu la liberté,ils ont réclamé la fin de l’oppression et de la domination;ils se sont surtout élevés contre l’occupation étrangère et l’injustice qui en découle.Et c’est cela qui était,est toujours et demeure inacceptable tant aux yeux des puissances coloniales que pour ceux ceux qui , de l’intérieur même, bénéficient,profitent et jouissent d’une situation de type colonial ou néocolonial.Il est exceptionnel que les pays ayant conquis dans le feu et le sang leur indépendance aient pu en profiter, car tout aura été mis en place pour les en empêcher.On peut ,bien sûr objecter les cas de l’Inde ou des États-Unis, mais bien des gens seront surpris d’apprendre que les USA ---------l’État, le gouvernement, les institutions américaines,-------------sont loin d’être aussi indépendants qu’on le pourrait croire, encore qu’il suffise d’ouvrir les yeux pour le constater.Quant à l’Inde , quand on songe à ce qu’elle a su ou même, peut-être, voulu faire de son indépendance,elle nous enseigne que s’il y a quelque chose qui est encore plus odieux que la domination étrangère, c’est celle exercée par les locaux eux-mêmes.
Par contre ,dans les pays dociles et soumis,et même dans les pays peu enclins à la complaisance ,pourvu qu’une fois l’indépendance acquise,ou même conquise au prix de luttes longues et dures,ils, c’est-à-dire leurs dirigeants, se montrent conciliants ,l’indépendance n’a jamais été perçue comme étant un problème.Bien au contraire ; d’ailleurs pourquoi les anciennes (?) puissances coloniales s’en fussent-elles émues,dans la mesure où elles continuaient leur oeuvre d’asservissement et d’exploitation avec la complicité de régimes infects dont les dirigeants corrompus s’acharnaient bien plus férocement qu’elles-mêmes,le plus souvent discrètement,mais parfois ouvertement,à défendre et à promouvoir leurs intérêts en plongeant la population entière, hormis leurs thuriféraires, dans la misère.
Faut –il ,donc, penser que,dans n’importe quel cas de figure,un territoire qui aura été conquis et occupé ne saurait jamais être vraiment indépendant,vu que soit il conquiert réellement son indépendance ,mais pour se trouver encore plus dépendant qu’avant,soit il obtient ou se voit accorder son indépendance,mais il ne s’agit alors que d’une indépendance formelle qui ne correspond à grand-chose dans les faits ?A l’ère d’une mondialisation,qui prend des allures de domination coloniale encore plus envahissante ( parce que sous couvert de marché libre,lequel n’est point libre du tout ? parce que sous couvert de démocratie ? ) que ce l’on a pu connaître jusqu’ici,la question de l’indépendance, de la liberté des peuples de décider d’eux-mêmes de leur sort est plus problématique que jamais.Ne sous-estimons cependant l’importance de la forme;elle n’est certes pas tout,elle n’est pas rien non plus, même si d’aucuns inclinent à trouver qu’elle ne vaut grand-chose.N’en faisons pas trop de cas non plus,car elle risque de faire perdre de vue l’essentiel, sauf quand c’est la forme elle-même,qui alors n’est pas que de pure forme, qui constitue l’essentiel.Surtout que même dans des pays dont personne n’hésiterait à affirmer qu’ils sont indépendants ,souverains,et qui passent pour des modèles de démocratie, la servitude et l’oppression ne sont, comme beaucoup ,voire la majorité, ne peuvent pas ne pas le savoir, ni étrangers , ni même étranges.
Nier ce qui est, un état de dépendance, de vassalité, par exemple,et célébrer ce qui n’est pas, ce qui n’est pas encore ,son envers diamétral , n’a de sens que si l’on a conscience de la comédie à laquelle on se livre , et que le but , proche ou lointain, soit la réalisation effective de cela que l’on fait mine de célébrer dans l’espoir d’en hâter la venue, au moyen justement de la scénographie rituellement mise en place.La vocifération triomphale , quand bien même elle s’inscrirait dans une visée téléologique identique,ne serait, encore qu’on en comprenne aisément le motif, pas de mise.Mais elle est franchement innommable et scandaleuse quand elle , froidement et délibérément, cherche à berner dans un but de séduction, d’abêtissement et d’exploitation.D’autant plus que , quoi qu’il en soit, rien ne saurait remplacer le travail d’affranchissement qui passe d’abord par la libération de l’esprit-------laquelle exige la conquête inlassable du savoir sans qu’il en résulte la moindre garantie d’une authentique liberté,------- et dont la stratégie doit, pour des raisons stratégiques précisément, être régulièrement renouvelée.Tout le reste est niais, tout comme niais est ce qui s’y rattache.
Ramanujam Sooriamoorthy

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