Friday, March 11, 2011

De L'art de gouverner

DE L’ART DE GOUVERNER
Il est difficile de parler de quoi que ce soit et même de tout simplement parler sans céder à des stéréotypes, sans tomber dans des lieux communs,et la difficulté, qui, en fait , eût dû s’en trouver estompée,dangereusement s’aggrave pour peu que l’on tente d’aborder un sujet qui,du moins en apparence, surtout pour ceux qui sont incapables de concevoir que quelqu’un puisse être médecin et grammairien en même temps par exemple,est étranger à sa sphère habituelle d’intervention à soi .( Mais la menace du lieu commun, du préjugé n’est pas moins insidieuse,peut-être même l’est-elle davantage, quand on traite de ce dont on a l’habitude, de ce qu’on connaît,croit connaître. )Aussi choisirons-nous, plutôt que de parler du taoïsme,objet d’une prédilection toute spéciale de notre part ,comme certains le savent peut-être ,de faire ,dans cette très brève note, référence au Hong fan ----ou Houng fan----( le Grand Plan , ou la Grande Règle ,)qui est l’un des plus anciens traités de philosophie chinoise.On fait généralement figurer ce texte , qui remonte probablement au sixième siècle , dans le Chou king,au quatrième chapitre de la quatrième partie;les neuf sections dont il est composé renvoient aux neuf Provinces du monde.( Le nombre 9 qui est le plus élevé des nombres simples constitue ,aux yeux des Chinois, un point d’achèvement,sinon de perfection;non moins important est le nombre 5-----------les cinq éléments,--------------qui occupe le centre dans la série des neuf premiers nombres.)
Pour les besoins de notre propos, c’est justement la cinquième section,le centre, du Hong fan qui retiendra notre attention: il y est question de ‘la plus haute perfection du Souverain’ ,laquelle consiste à travailler,à partir de sa capitale, au Bonheur--------et le Bonheur, c’est la juxtaposition de cinq ,évidemment, bonheurs: la longévité,la richesse,la santé physique et la paix morale, l’amour de la vertu et une vie complète que n’interrompt aucun accident, du peuple.Pour y parvenir,il faut, selon le Hong fan,que les anciens considéraient comme une méditation sur la l’organisation de l’univers,se montrer attentif à la disposition des êtres et des choses que suppose cette structuration de l’univers et s’y conformer.Bref,le Hong fan fait injonction au Souverain de respecter l’harmonie inhérente aux êtres et aux choses, de ne rien épargner pour qu’il n’y ait que des rapports réguliers entre les humains eux-mêmes,et entre eux et l’univers dans son extrême diversité.Et cette tâche ne revient qu’au Souverain qui, selon la tradition, est seul la Fortune du peuple;lui seul la peut à bien mener.Mais encore faut-il que le Souverain ait en la personne du premier de ses ministres quelqu’un qui sache lui préparer les mets propres à lui inspirer l’amour de la vertu.Le plus important des ministres du Souverain, de l’Empereur est un préparateur de mets;bien que d’habitude on ait tendance à considérer que les mets en question ,certes spéciaux, ne sont que matériels,nous inclinons à penser qu’il ne s’agit pas moins de mets intellectuels et moraux.
Certaines sections du Hong fan ont l’air de démentir cela qui font mention de recettes,si l’on peut dire, de gouvernement;il y est parlé des rapports entre le Souverain et ses ministres, de la manière dont la justice doit être administrée.Mais ces recettes n’en sont pas; il faut rappeler ici que presque tout est, chez les Chinois, affecté d’une valeur numérique et que les vrais savants sont avant tout des maîtres dans l’art du calcul et calculer, ceux qui s’adonnent à la pratique divinatoire le savent peut-être mieux que tous,c’est interpréter et disposer les nombres de manière telle qu’ils soient conformes à ce que le Hong fan,les 9 sections, on dit aussi les 9 Rubriques, du Hong fan appellent ‘les rapports réguliers des êtres’.
Gouverner, c’est donc apporter le bonheur en assurant l’équilibre au sein du monde.Cependant, ce n’est pas au moyen de recettes, de maximes et de sentences que l’on acquiert la science nécessaire à cette noble mission.Sans doute, certaines sections du texte où il est question du comportement à adopter, de la proportionnalité des châtiments peuvent-elles donner l’impression de ne consister qu’en formules devant être appliquées ;mais c’est laditeapplication qui fait problème.C’est probablement pour en souligner la difficulté que la tradition invente un héros de légende, Yu le Grand, à qui le Ciel fait don du Hong fan, de ses neuf sections, pour qu’il aménage le monde.Cependant,on pourrait dire que, sans la maîtrise des nombres,le Hong fan lui-même ne sert pas à grand-chose, même s’il est licite de penser que les Rubriques du Hong fan sont comme des symboles pouvant suggérer des ordonnancements en harmonique avec l’ordre universel.
Seule la sagesse peut vraiment gouverner,une sagesse qui n’exclut pas la force,ainsi qu’en témoignent certaines sections du texte et surtout d’autres chapitres du Chou king, mais qui ne s’y surtout réduit, et cette sagesse-là , qui n’a à peu près rien à voir avec la ruse, quoi qu’on puisse être tenté de croire par moments ,ne s’acquiert, ne se conquiert que dans la méditation et l’étude.Jamais définitivement cependant;il faut toujours interpréter, réinterpréter les nombres ,le monde ,c’est-à-dire également la société, avec l’aide de ceux qui savent lire et dont il se faut entourerpour que l’harmonie………….et il n’y a pas d’harmonie sans justice, sans équité------------soit possible.Tout cela ,pourrait-on dire, est bien connu;peut-être.Ce qui l’est moins , c’est la science qui peut autoriser ( au sens étymologique ) cette harmonie, sans toutefois la garantir indéfiniment, celle du nombre,du calcul, qui est aussi science de la lecture.Il s’agit de toujours lire et relire le monde à la faveur des images, des chiffres, des symboles qu’il offre et d’en tirer les leçons, et non pas simplement les conclusions, qui s’imposent pour le bonheur de tous et de tout.On peut,il convient même de critiquer cette conception du pouvoir , du gouvernement,pour ceci qu’elle fait du pouvoir, de l’art de gouverner, la seule prérogative d’un seul ,le seul être noble., pour ceci qu’elle est d’essence théologique.Mais qu’importe ,au fond, si,toute théologique qu’elle soit, elle permet le déploiement d’un espace juste et harmonieux que les démocraties, comme on dit, elles-mêmes ont du mal à concevoir.Cela ne signifie nullement qu’il faille s’en donner pour heureux: on pourrait songer à transformer cette conception de l’art de gouverner en encourageant la participation du plus grand nombre possible.Mais il faut d’abord commencer à apprendre à lire.
Ramanujam Sooriamoorthy

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