Friday, March 11, 2011

De l'inégalité des lois

DE L’INÉGALITÉ DES LOIS
Tout le monde sait que l’inégalité est une réalité avec laquelle il faut essayer d’apprendre à compter, que c’est peut-être même un fait de nature , mais , en même temps, tout se passe comme si tout le monde ,presque tout le monde s’employait à nier férocement qu’il en fût ainsi, étant donné que l’inégalité, c’est , en tout cas, l’argument avancé,loin d’être un phénomène, un fait naturel, constitue , en fait ,une création de l’humaine perversité et relève ,non de la nature, mais de la culture, de la société.Cependant, que l’inégalité soit une réalité ou une fiction,une construction, ce n’est point ce qui interdira d’en tirer des conclusions opposées.De ce que l’inégalité soit un fait de nature, on estimera aussi bien qu’on ne peut que l’accepter, que la subir, vu qu’on n’y, quoi qu’on fasse, peut rien contre, qu’on décidera qu’il la faut justement combattre, l’homme,l’être humain étant un animal culturel, social. ( Ouvrons ,avant de continuer ,une parenthèse,pour rappeler que ces notions de nature,culture,et de société,méritent, surtout à la lumière des récents développements dans le domaine de l’éthologie, d’être, plus amplement interrogées, ne serait-ce que pour marquer qu’elles sont plus complexes qu’on ne le croirait,mais, bien évidemment,nous ne pourrons le faire ici.)Et de ce que l’inégalité soit une humaine création,on conclura et qu’on la pourra,qu’on la devrait pouvoir éliminer et qu’on est capable de rien qui soit d’une réelle efficacité contre elle, étant donné qu’il est dela nature de l’homme ( imitant en cela la Nature ? ) d’encourager , de pratiquer des inégalités,à plus forte raison quand il y a quelque gain à en récolter.Quoi qu’il en soit, ce qui est indéniable , c’est que le combat--------------s’il faut bien qu’il y ait combat, s’il est possible que ce combat ait lieu, ce dont certains semblent douter,--------------contre l’inégalité promet d’être d’une extrême difficulté.Il y a à cela plusieurs raisons dont nous ne retiendrons, du moins pour l’instant, que deux qui, au fond ,n’en font qu’une.
Il y a la position de ceux qui ,très sérieusement, affirment qu’il n’y a pas d’inégalité; ce n’est qu’un fantasme,un prétexte mis en avant par ceux qui croient subir quelque inégalité pour vitupérer contre une situation dont ils sont seuls responsables.Ceux-là n’ont manifestement jamais été victimes de la moindre inégalité;faut-il cependant avoir été lynché,par exemple, pour deviner ce que cela peut signifier d’être lynché ? Ceux qui subissent régulièrement le poids des inégalités sont à peine différents qui sont d’avis, très sincèrement ( ils ont fini par y croire ), qu’on ne les fait souffrir d’aucune inégalité.L’être humain-------il a au moins ceci de louable, même si ce n’est pas très intelligent,-------------est cet animal qui préfère encore nier son infortune plutôt que d’avouer, de s’avouer l’ignominie de sa condition.Par contre, soit dit au passage, ceux qui ne font les frais d’aucune inégalité sont plus volontiers enclins à jouer les victimes : ils n’ont absolument rien à perdre . Retenons que,pour l’essentiel, il y a ceux qui nient l’inégalité parce qu’ils n’en souffrent et ceux qui en démentent l’existence ,parce qu’ils en pâtissent.Voilà qui n’aide pas à avancer; ce que l’on ne saurait remettre en question toutefois, c’est qu’il suffit que quelqu’un ait le sentiment, réel ou imaginaire, d’avoir fait l’expérience personnelle d’une inégalité pour qu’il crie à l’injustice: ce quelqu’un n’est pas tout le monde,mais ce pourrait être n’importe qui. Ne serait-ce que pour cela-----------mais ce n’est pas la seule raison que l’on pourrait invoquer, ni la plus noble----------------, le combat contre l’inégalité s’imposerait comme une nécessité.
A côté de cette nécessité, que l’on peut dire subjective ou égoïste-----------car même si elle peut être ressentie par tout le monde , personnellement ou /et collectivement, c’est toujours soi seul, et éventuellement les siens, que l’on cherche à défendre et à protéger--------------,il se rencontre une nécessité d’ordre social, car toute inégalité est toujours un risque potentiel d’embrasement social. Afin de préserver l’édifice social-------------ce quine veut pas forcément dire : l’harmonie sociale-------------,on supprimera les inégalités.La tâche étant cependant difficile, on se contentera le plus souvent de les masquer.C’est une tactique qui peut se révéler dangereuse , sauf en régime ploutocratique et totalitaire.Mais n’est-on pas le plus souvent en régime ploutocratique et totalitaire ?
Fort heureusement,il y a,il y aurait une troisième nécessité qui dicte que l’on lutte contre l’inégalité,où qu’elle se manifeste, et elle est d’ordre moral.Il faut s’élever contre l’inégalité,non parce qu’on en souffre ou en peut souffrir,ni parce que la société s’en trouverait sur ses assises ébranlée, mais parce que l’inégalité est injuste; sale et laide , elle salit et enlaidit.Le problème ,c’est qu’ils ne sont pas nombreux à s’en soucier; il en est pour qui la richesse et le pouvoir valent amplement tous les sacrifices.Toutefois,il n’en faut point raison ou prétexte tirer pour se laisser aller au découragement, au désespoir; c’est un motif supplémentaire de lutte.Sans doute; encore faut-il savoir ce qu’est l’inégalité ,pouvoir l’identifier,la démasquer ,où qu’elle se loge.
Qu’est-ce donc que l’inégalité?Le concept d’inégalité a très probablement pour origine le constat de disparités objectives qualitatives aussi bien que quantitatives un peu partout, dans le domaine dit de la Nature, chez les animaux, les plantes,même au niveau de la matière inanimée,et ,bien entendu, chez les humains.Ces disparités donneraient tout au plus lieu à des tableaux descriptifs,si elles n’indiquaient ,ici et là, telle incapacité, telle faiblesse, telle infériorité dans ce que l’on pourrait appeler ,de manière prédarwinienne , le combat pour la vie,pour la survie .Cependant , ces faiblesses, ces infériorités n’en sont pas dans la mesure où l’échec , la mort si l’on préfère, sur le plan individuel,au niveau de l’ontogenèse , contribue au succès sur le plan de la phylogenèse.Il ne semble pas que cela ait été vraiment compris.Tout se passe, tout se sera passé comme si, dans leur désir effréné de vie,ou dans leur peur insurmontable de la mort,les êtres humains, qui pourtant devraient savoir ce qu’il en est de leur état de dépendance vis-à-vis d’autrui, de leur vulnérabilité foncière, choisissaient, avaient toujours, la plupart d’entre eux, choisi , au lieu de secourir , d’aider leurs frères et soeurs affligés de handicaps sur tel ou tel plan, non forcément par générosité ou noblesse, mais par espoir égoïste par exemple de bénéficier de leur reconnaissance le cas échéant , de mieux exploiter ces faiblesses. Afin d’en profiter, de prouver leur supériorité , au fond , mensongère et ridicule.
Les inégalités, les différences, dont on ne saurait,par ailleurs, nier l’importance,la nécessité------------un monde d’où la différence serait exclue étant parfaitement inconcevable---------------,ne, quelle que soit leur évidence, compteraient guère, si l’on n’y associait un coefficient de supériorité, si on ne les instrumentalisait à des fins de domination, d’exploitation.C’est probablement en raison de cette passion morbide de domination que, compte tenu du fait qu’on ne saurait ,par la seule volonté, effacer les inconvénients qu’entraînent, que peuvent entraîner les inégalités ,l’on a conçu l’idée d’une égalité formelle pour réglementer et équilibrer les relations humaines.Le concept d’égalité formelle est d’ordre juridique, ce qui ne veut pas dire qu’il se limite à la seule sphère du juridique; il couvre tout l’espace social.L’égalité formelle fonctionne, est appelée à fonctionner comme principe régulateur afin que se puisse trouver atténuée la portée ,bien réelle , des inégalités dans les rapports humains.On n’en conclura pas qu’elle y parvient effectivement; sans doute oeuvre-t-elle dans ce sens, mais elle est surtout d’ordre formel, bien qu’elle ne soit pas que formelle.Pour commencer, il eût fallu que le corpus juridique lui-même en fût impregné ; il l’est , à n’en point douter, mais insuffisamment.Le vrai problème , c’est la conception même de l’égalité formelle;à en faire l’équivalent de l’égalité numérique,on laisse encore moins de marge au concept d’égalité formelle.En fait, l’égalité formelle en tant qu’égalité numérique risque fort de n’être qu’une autre version de l’inégalité. Ce serait autre chose si ,par égalité, on entendait équité qui,elle , tient compte de la spécificité , de la particularité de chacun.L’équité veut, par exemple, qu’on ne traite pas de la même façon un bandit et un intellectuel, réclame l’application du critère de proportionnalité dans toute décision, tout jugement.De ne point comprendre cela, on laisse plus ou moins intactes les inégalités dues à la naissance, au hasard, aux conditions extérieures objectives, en admettant qu’il y en ait,, voire au facteur génétique et, plus grave encore, on y ajoute d’autres inégalités voulues par la noirceur de ces étranges animaux qui ne sont jamais, sauf exception, si heureux que quand ils chosifient et dominent les autres.Et pourtant, c’est bien cela, le but de l’égalité formelle : la réduction maximale des inégalités entre les hommes.On peut appeler cela démocratie , si l’on veut, mais le mot et, peut-être également,le concept de démocratie sont tellement galvaudés qu’il faut les utiliser avec encore plus de circonspection que d’habitude , faute de quoi,on pourrait finir par croire que la démocratie, c’est le fascisme ,et inversement.
L’égalité formelle, dont le versant concret est l’équité effective, ne prétend nullement abolir toute inégalité,non seulement parce qu’il s’agit là d’une entreprise impossible à réaliser,mais parce que ce n’est pas souhaitable du tout.Elle voudrait, par le biais de lois, d’énoncés juridiques,tempérer le poids des inégalités primaires, de celles dont on ne peut faire porter la responsabilité à qui que ce soit, et empêcher ,autant que possible, l’apparition ,l’intrusion de nouvelles inégalités( que l’on dira secondaires ) qui, sans la combinaison de la sottise et de la méchanceté humaines, n’existeraient probablement pas.Toutefois, c’est en voulant faire preuve d’impartialité, en croyant oppposer un énergique refus à toute forme de discrimination, que l’égalité formelle, se confondant avec l’égalité numérique, se fait mécanique et contribue à la perpétuation des inégalités:elle traite comme étant identique ce qui ne l’est pas.Ce faisant, elle est non seulement injuste,mais surtout irrationnelle.
L’inégalité des lois, que promeut même l’égalité formelle et qui doit donc être remplacée par la notion d’équité,ne tient pas seulement à la médiocrité de lois promulguées par un législateur ignare et débile,sinon corrompu, ni à l’ignorance d’un supposé gardien de la loi à qui on n’a appris ni à connaître ni à respecter la loi, ni au cynisme et à la légèreté d’un magistrat à qui des conditions de travail propres à abrutir auront fait perdre ses idéaux de jeunesse, ni même à la sélectivité-------ici,on ne peut même plus parler de l’inégalité des lois, mais d’absence de lois tout simplement, étant donné que ,pour certains, tout se passe comme si la loi n’existait absolument pas,------------ dans l’application de la loi ,même si, bien entendu, il en va de tout cela aussi, mais bien plus encore à la généralisation irréfléchie dans la conception des lois et à une application mécanique et aveugle.De telles lois, s’il pouvait y en avoir qui réglementassent le comportement des animaux, ne seraient bonnes pour aucun animal, et on voudrait, en toute innocence,en toute bonne foi,qu’elles fissent régner la justice et l’harmonie chez les hommes.
On pourrait croire qu’on ne saurait échapper à l’inégalité des lois--------------en quelque sens qu’on entende cette expression: que l’on considère chaque sens pris séparément, que l’on additionne tous les sens plus haut mentionnés-----------------,ce serait, affirment d’aucuns , en raison de la nature humaine.Bref, c’est parce que les êtres humains sont ce qu’ils sont, parce qu’ils sont faibles, parce qu’ils sont humains, que les lois ne peuvent qu’être imparfaites. Si nous étions des dieux, tout serait tellement différent, et , bien évidemment, on tient ce raisonnement pour parfait. Mais plutôt que de juger que c’est en raison de leur humanité que les hommes produisent des lois qui sont injustes et mauvaises, nous inclinons à penser que c’est plutôt leur inhumanité ou le trop d’humanité en eux qui en sont responsables.Et l’équité, qui est souci de la singularité de tout étant, autrement dit, respect de l’altérité de l’autre, peut permettre de combattre et de vaincre cette inhumanité, ce trop d’humanité.Il faut, pour cela, apprendre à lire, à écouter: tâche pluridimensionnelle et interminable;la répétition de l’identique y produit également de la différence et la seule assurance possible est celle de ne pouvoir jamais atteindre le but désiré. Il faudra donc toujours se battre contre l’inégalités des lois ,et c’est tant mieux.Car c’est peut-être grâce à cela qu’un jour, l’Humanité, sera composée de plus d’êtres vertueux que de salauds.Nous en sommes pour l’heure bien loin.Beaucoup trop loin.
Ramanujam Sooriamoorthy

No comments:

Post a Comment